Office pour les insectes et leur environnement
Publié le 07/01/2022
Joli cadeau de Noël du ministère de l’Agriculture que cette Consultation publique lancée le 24 décembre 2021 jusqu’au 16 janvier 2022. L’Opie souhaite ici rappeler sa position, quelques faits scientifiques et donner des éléments factuels susceptibles d’être utilisés par les citoyens désireux d’apporter leur réponse à cette consultation.
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Contribution de l’Opie à la consultation publique du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation : projet d’arrêté autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiamethoxam et précisant les cultures qui peuvent être semées, plantées ou replantées au titre des campagnes suivantes.
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Préambule, rappel de notre position
L'Opie rappelle sa ferme opposition à toute dérogation concernant la possibilité d’utiliser en agriculture et en foresterie n’importe laquelle des molécules de la famille des néonicotinoïdes (NNI) ! Nos éléments ont déjà été exposés ici. Rappelons aussi l’impressionnante quantité de littérature scientifique qui prouve l’extrême nocivité de ces substances, non seulement pour les abeilles (et tous les autres insectes pollinisateurs sauvages), mais aussi pour les milieux (sols, eau) et les organismes qui les peuplent, et évidemment pour la santé humaine ! Insistons encore sur leur rémanence (temps durant lequel elles resteront actives et donc dangereuses) qui dépasse de loin une année entière, temps qui semble pourtant satisfaire les mesures d’accompagnement fallacieuses de l’Arrêté en question…
L’Opie a refusé de siéger au « Conseil de surveillance » sensé encadrer l’application de la loi réautorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées aux néonicotinoïdes pour 3 ans, bien persuadé de l’inutilité d’une telle démarche complétement biaisée dès le départ ! Aujourd’hui, les associations partenaires qui y siègent et dont nous saluons la ténacité, s’y retrouvent muselées par l’équilibre savamment inégal de la composition de ce « conseil ». D’autant que les représentants du Ministère de la Transition écologique qui y siègent aussi semblent recevoir la consigne de s’abstenir pendant les votes… Pression politique – devrait-on dire des lobbies agricoles ? – quand tu nous tiens...
Cela dit, et tout illusoire que soit notre souhait de voir ces dérogations levées, il nous semble extrêmement important de rappeler les alternatives et solutions les « moins pires » qui ne sont même pas envisagées dans ce projet d’Arrêté. Car non-content d’avoir réussi l’impossible en 2020 avec la ré-autorisation pour 3 ans des substances que la Loi avait banni avec courage, responsabilité et raison, le Gouvernement ne fait aucun effort pour contrôler et suivre les modalités d’application de ces poisons dont l’impact opère à grande échelle.
Nos remarques sur l'arrêté
Les molécules :
Alors que l’Union européenne a interdit la totalité des molécules de NNI et qu’une seule d’entre elles a été réautorisée de manière dérogatoire en Allemagne, pourquoi en réautoriser 2 en France, dont la « pire » d’entre elles, le tristement célèbre Gaucho ? D’autant que les « effets cocktails » issus de la dégradation et recombinaisons des molécules commencent tout juste à être documentés par des résultats scientifiques effrayants…
Les surfaces autorisées :
l’Allemagne toujours, n’a autorisé que 50% des surfaces concernées par la culture betteravière à être traitées. Il n’est pas compréhensible que la totalité des surfaces françaises concernées soient autorisées dans cette dérogation !
L’arrêté doit faire preuve de discernement et s’attacher strictement à limiter l’utilisation de ces produits toxiques aux seules zones les plus sensibles.
Les modalités d’application vs réalité de la menace :
l’enrobage est une manière de traiter en préventif et à l’aveugle complétement irresponsable et sans aucune relation avec la réalité du terrain et du travail de l’agriculteur. Le produit est utilisé sans autre alternative et les autorisations de dérogations données en 2021 ont conduit à un immense gâchis. Aucun des modèles prévisionnels utilisés n’a pu prédire la très faible population de pucerons de l’année et donc l’absence de menaces… Pour autant, les substances tueuses ont bel et bien été larguées dans l’environnement…
Rappelons aussi que la vision « à la parcelle » qui prétend que la nocivité du produit – comme le « nuage de Tchernobyl » – s’arrête aux limites de la parcelle agricole concernée est un non-sens : c’est tout le territoire environnant qui se trouve impacté.
En cas de risque majeur sur la production betteravière dans une région donnée, la seule modalité qui pourrait être concevable – à défaut d’être acceptable – serait une application par pulvérisation ciblée quand le début d’une infestation est constaté. D’autant que cela rendrait factuelle la nécessité ou pas de traiter.
Vers une sortie définitive en 2023 ?
Malgré l’affirmation du Gouvernement que tout sera fait pour sortir définitivement de l’utilisation des NNI en 2023, force est de constater que seules les solutions chimiques continuent à être majoritairement financées dans le cas des cultures betteravières. L’ANSES, en réponse à la saisine du ministère de l’Agriculture, a pourtant récemment publié une liste de solutions alternatives non-chimiques pour la protection des cultures de betteraves. Ces alternatives doivent être mises en œuvre immédiatement et à grande échelle, et les axes de recherche et développement suggérés par l’ANSES doivent faire l’objet de financements effectifs, plutôt que de continuer à dépenser de l’argent public dans des recherches tournées vers la solution chimique.
Nous ne sommes pas dupes de la volonté des lobbies, validée par le Ministre de l’Agriculture, de refaire passer ces dérogations pour 3 années de plus a minima tant l’absence de recherches ou d’essais sur les véritables solutions alternatives non-chimiques et/ou bios est assourdissante.
Ces solutions alternatives, déjà mises en œuvre à l’échelle européenne, couteraient moins chers à mettre en place que d’augmenter encore le coût économique à long terme engendré par les pollutions chroniques qui dérèglent en profondeur le fonctionnement des écosystèmes, contribuent à la perte de biodiversité, mettent en péril la capacité agricole à moyen terme et influent négativement jusqu’en santé humaine.
Deux rappels :
- Le coût financier induit par la pollution à grande échelle de l’environnement et les conséquences en santé publique de l’utilisation des NNI est déjà vertigineux et uniquement porté par la société, et non par les responsables. Ces arrêtés continuent à augmenter la note de ce désastre collatéral.
- Le puceron Myzus persicae, vecteur de la jaunisse et cible de ces insecticides, a (avait) pour hôte primaire les Pruneliers qui composaient en grande partie les haies des paysages agricoles d’autrefois…
« La possession de merveilleux moyens de productions n’a pas apporté la liberté, mais le souci et la famine »
Albert Einstein
En bref :
- limiter strictement à 1 molécule la dérogation sur la base des connaissances scientifiques permettant d’éliminer les NNI les plus nocifs ;
- restreindre la dérogation aux surfaces les plus sensibles ;
- utiliser la pulvérisation ciblée uniquement en cas de constat d’infestation ;
- mettre en place au plus vite les techniques alternatives non-chimiques existantes et éprouvées dont l’ANSES a dressé une liste documentée ;
- arrêter de prétendre que les dommages irrémédiables et de long terme, causés par les traitements parcellaires, s’arrêtent à la parcelle et seront absorbés par une année de cultures « non-attractives ».