Nous avons beaucoup parlé d’entropie, qui est en quelque sorte le désordre global. Une des règles principales de notre univers, établie par le deuxième principe de la thermodynamique, explique que l’entropie ne peut que croître au cours d’une transformation. L’image la plus triviale pour comprendre cette règle, c’est que si un verre se brise en tombant, on ne voit jamais les morceaux se recomposer d’eux-mêmes. Cette règle fondamentale, c’est aussi ce qui explique la flèche du temps, le fait qu’il ne fait qu’avancer sans retour en arrière possible. Maintenant que c’est clarifié (si si !), nous pouvons glisser avec David Elbaz sur la grande pente de l’histoire de l’univers.
On arrive au propos de votre livre : les «photons», qui composent la lumière, servent de monnaie à l’univers pour se structurer.
Einstein s’est aperçu en 1905 que de la matière qui était agitée pouvait se libérer de son agitation avec un coût en quantas d’énergie. Ce n’est qu’en 1920, quinze plus tard, que le mot «photon» a été introduit. La particule de lumière que je reçois sur mon télescope quand j’observe le ciel, elle a donc emporté avec elle l’agitation de la matière dont elle est issue. La molécule qui a vibré, elle s’est calmée. Avec moins d’énergie pour résister à la gravité, elle s’est rapprochée des autres…
Ainsi, la matière s’est mise à donner forme et a engendré cette fameuse beauté. C’est un peu comme si on avait filmé Rodin face à un gros bloc de pierre. On verrait des morceaux jaillir de tous les côtés, et progressivement, le bloc de pierre se transformerait. A la place des éclats de pierre, nous avons des photons.
Modeler la matière, ce n’est pas le boulot de la gravité ?
Je n’ai rien inventé, mais c’est l’angle qui est un peu original. Ce que j’explique, c’est que la gravité crée le bloc de pierre, et la lumière, c’est Rodin.
La pente naturelle de l’univers, c’est la création d’entropie, de désordre, et donc la création de lumière…
L’univers a deux manières de créer de l’entropie : créer du désordre dans la matière, et subdiviser l’énergie en petits morceaux. Et ces petits morceaux, on peut en créer autant qu’on veut. C’est un peu comme si on avait une pente avec un chemin plus marqué qu’un autre. L’eau qui coule choisit toujours naturellement la pente la plus forte. Dans le cas de l’entropie, la pente la plus forte, c’est celle de la lumière. C’est la clé.
Et la façon la plus efficace de faire de la lumière, c’est quand la matière se structure en formes complexes, qui semblent être l’exact opposé du désordre. On se rend compte qu’à chaque étape de son histoire, l’univers n’a fait que donner à la matière des moyens de plus en plus efficaces de produire de la lumière. Et la plus belle ruse de la lumière pour se multiplier, c’est la vie ! C’est ça qui est dingue.
C’est quand même compliqué, de penser la vie comme faisant partie d’une pente naturelle de l’univers. Notre raison résiste à cette idée-là…
Je comprends. C’est comme si on retrouvait encore une fois cette position de centre du monde, d’aboutissement de l’évolution… Pendant longtemps, on a expliqué que si, globalement, le système univers augmentait d’entropie, localement, elle pouvait diminuer. Mais ce n’est pas du tout satisfaisant. C’est comme si localement, on pouvait se libérer totalement d’une partie des lois de la physique.
Mais si on regarde vraiment, un gramme d’être vivant produit 200 000 fois plus de lumière qu’un gramme de soleil ! Au moment où on parle, on est donc en train de répondre aux lois de la physique… Pour moi, ce serait plus troublant que la vie soit une rupture dans l’histoire de l’univers, provoquée par un comportement anormal de la matière, que de dire que ça répond à une propension naturelle.
[Image] « Nous n’avons pas de définition scientifique et objective de la beauté. Et pourtant, on entend souvent parler de beauté en sciences. » (Xavier Lissillour/Liberation)